Comment la France est devenue une destination reine du cyclotourisme
Deuxième destination mondiale du voyage à bicyclette, l’Hexagone pourrait bientôt filer en tête du peloton. Avec déjà plus de 20 000 km de pistes aménagées, le cyclotourisme poursuit son développement à belle allure, au bénéfice des vacanciers et des économies territoriales. Du sud au nord, d’est en ouest, et du printemps jusqu’en automne, le vélo gagne du terrain. Même si un manque d’huile dans les rouages de l’intermodalité vient parfois freiner les ardeurs de la Petite Reine. © La Seine à vélo- D.Darrault
Le convoi qui vient de se garer en bordure d’eau, à l’ombre des arbres tabassés par le soleil de cette fin de journée, est mastoc. Un de ceux que le trafic, déjà intense en ce début de saison estivale, charrie désormais fréquemment le long de la Loire. Cinq engins le composent, le premier lesté d’une remorque. Celui qui ferme la route soutient d’amples bagages. Les trois autres, de gabarit plus léger, s’égrainent dans l’intervalle comme autant de poupées russes alignées sur l’asphalte.
Tous les pilotes ont mis un pied à terre. La cheffe de file se retourne. Sans un mot, elle désigne du menton la terrasse fleurie d’un petit bar. À l’arrière, l’homme lui répond du même langage aphone, en levant le pouce. En deux coups, les vélos sont rangés, les casques tombés, le chien sorti de la remorque, la famille attablée. Pause-goûter.
Fringale de plein air après deux mois de confinement
« Nous n’avons plus que 4 kilomètres d’ici l’étape du soir, alors on souffle un peu », explique Claire, encore étonnée d’être là. Il y a trois ans, elle n’aurait pas juré qu’un jour, elle passerait ses vacances en famille à bicyclette. Le virus l’a piquée à l’été 2020, année où le pays éprouvait une fringale de plein air après deux mois de confinement. Elle ne fait pas exception.
Cette saison-là, le site Internet de France Vélo Tourisme a connu un afflux de 86 % de visiteurs supplémentaires par rapport à 2019, affiche-t-il fièrement. La tendance s’est poursuivie en 2021. Le coup d’œil n’est pas resté que virtuel : « 22 millions de Français font du vélo pendant leurs vacances, dont 15 % en itinérance », avance encore l’association, qui promeut et anime le développement du voyage à pédales. La France est aujourd’hui la 2e destination mondiale du tourisme à vélo, derrière l’Allemagne. Elle vise le premier rang d’ici à 2030.
Des retombées estimées à 4,6 milliards d’euros
Pas seulement pour la gloire. L’impact économique du tourisme à vélo vaut son pesant de rustines. Dans un rapport publié en 2020, l’Ademe évalue ses retombées à 4,6 milliards d’euros. Hébergement, restauration, achat de produits du terroir ou location d’équipements : les dépenses moyennes des touristes à vélo « sont nettement supérieures » à celles des autres vacanciers, insiste l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Plébiscitée par les cyclistes, la Côte atlantique est singulièrement bénéficiaire de cet essor.
Sur « La Loire à vélo », itinéraire aménagé reliant, sur 900 kilomètres, Nevers à l’estuaire du fleuve, la fréquentation a ainsi doublé en cinq ans. L’impact économique en a fait de même, passant de 13,8 milliards d’euros à 27,8 milliards, souligne encore l’Ademe. Il se mesure aussi en termes d’emploi. En 2019, en France, 34 000 étaient redevables au tourisme à vélo, affirme la plateforme associative Vélo & territoires.
Plus de 20 000 kilomètres d’itinéraires aménagés en France
Les collectivités, de fait, ont saisi l’intérêt. Le budget qu’elles consacrent aux politiques cyclables utilitaires, mais aussi de loisir, a augmenté de 40 % en dix ans. Depuis 2010, voies vertes et véloroutes ont gagné du terrain, note l’Ademe. France Vélo Tourisme cartographie plus de 20 000 kilomètres d’itinéraires aménagés. Vingt-neuf cheminements au total, dont sept transeuropéens, certains d’à peine 200 kilomètres, d’autres de plus de 1 500 kilomètres. Chaque saison, il en naît de nouveaux. Trois ont d’ailleurs éclos cette année.
« Vélocéan », « Route des grandes Alpes »… Il existe 29 itinéraires cartographiés, dont 7 transeuropéens, dédiés aux cyclistes. Et chaque saison il en naît de nouveaux !
L’engouement, toujours, est au rendez-vous. Les itinéraires les plus récents « voient le nombre de passages progresser de 7 à 11 % (en 2020) », note Vélo & territoires, tandis que la fréquentation des autres reste stable. Mieux encore, la pratique n’est plus exclusive à l’été. « La tendance s’étend aux ailes de saison », poursuit la plateforme. L’automne, singulièrement, « invite de plus en plus de touristes à enfourcher leur bicyclette. ».
Reste des obstacles à un essor plus ample. L’un d’eux est financier. Car, si le cyclorandonneur est le touriste le plus payant pour les territoires, c’est aussi parce qu’il est généreux. La dépense quotidienne moyenne de chaque pédaleur est estimée à 68 euros. L’hébergement, évidemment, au premier poste – 116 euros en moyenne en chambre d’hôte ou en hôtel, 56 euros en camping. Les aménagements alternatifs, toutefois, se développent. Couchsurfing ou formules bivouac à 20 euros la nuitée se multiplient, offrant un salut aux fauchés.
En train, les places réservées aux vélos sont chères
Le casse-tête de la combinaison des modes de transport est autrement plus épineux pour qui souhaite se passer de voiture du début à la fin de ses vacances. En train, les places réservées aux vélos sont chères. Quasi inexistantes en TGV, elles restent limitées en TER, variables selon les régions. La volonté politique n’est pas seule en cause. Faire de la place aux bicyclettes sur les rails ne va pas comme sur des roulettes. « Un vélo de cyclotouriste occupe deux places assises », rappelle Wilfried Demaret, conducteur à Limoges et fin connaisseur des technologies ferroviaires, « et je ne parle même pas des remorques ou des vélos cargos » ! Techniquement, troquer un fessier contre un deux-roues n’est en outre pas simple, voire très compliqué. « Retirer les sièges d’un wagon implique un déport de masse qui oblige à revoir tous les calculs (d’équilibre de la rame) et à demander de nouvelles autorisations », poursuit le professionnel. Rajouter un wagon en bout de train est possible… à condition de réajuster la longueur des quais sur toute la ligne, ce qui se chiffre en millions d’euros. Les rames tractées par les locomotives d’antan, enfin, ont pour ainsi dire toutes cédé la place à des automotrices, plus pratiques mais bien moins élastiques – élément qui a prévalu à la disparition des wagons fourgons, longtemps dédiés aux bagages encombrants, deux-roues inclus.
Il n’empêche : certaines régions ont pris le guidon par les cornes. « Rhône-Alpes a engagé des travaux pour rallonger les quais », reprend Wilfried Demaret. Vieille routarde du vélo-tourisme, la région des Pays de la Loire a, quant à elle, mis sur rail un modèle unique, le Jumbo, un train à deux niveaux, dont un entièrement dédié à la bicyclette.
La route du vélo-tourisme continue ainsi de s’élargir. À ceux tentés par l’aventure, plusieurs plateformes associatives, dont le site de France Vélo Tourisme permettent de se bricoler un itinéraire à la carte. En boucle ou en aller simple, familial ou corsé, sur deux jours ou deux mois, de l’Allier à l’Alsace ou de Paris à Londres, le choix final n’est qu’affaire de mollets.
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